Textes d’ateliers sur les dix mots
Ou sur le seul mot “aile”
Ailes
Pascal Bayle
Atelier d’écriture du mardi soir
Je bats de l’aile, et m’est avis que c’est mauvais signe. Sans jeu de mot.
Mentalement, je plane à dix mille : l’atterrissage risque d’être rude. Mais avant ça, je vais pouvoir profiter de toute la descente en piqué. Enfin, profiter, ce n’est pas le mot exact, si vous voyez ce que je veux dire. J’imagine que c’est un peu ce qu’a dû ressentir Icare, à s’être trop approché du soleil. Tout au plaisir de se baigner dans la lumière, d’être le plus haut, l’unique, on ne sent pas la première plume se décoller, ni la seconde, ni les suivantes… Et soudain, c’est trop tard.
Tu ne monteras plus jamais aussi haut, il faut te faire à cette idée. Si tu en sors vivant.
Et sur le moment, je vous prie de croire que j’en doute : au bout de mon bras, ça fait flap-flap-lap que c’en est désespérant.
Puis la chute.
Inutile de la décrire, c’est à la fois très long et très court : on ressent chaque seconde.
Et enfin, le contact avec le sol. Rude, je peux vous l’assurer. Tout est douleur. Un instant de douleur qui s’éternise. Et puis, sans savoir si c’est une habitude qui se prend, ou la douleur qui s’amenuise (ou un peu les deux), on remarche.
Et on se dit qu’on est prêt à reconquérir le ciel.
Et là, on se rend compte que tout ce qu’on a à disposition pour ça, c’est un escabeau.
Dialogue avec les dix mots
Elisabeth Zacharie
Atelier d’écriture du mardi soir
Bonjour monsieur Duvent vous êtes en avance, j’ai eu un boulot monstre et n’ai pas eu le temps de réparer votre chambre à air.
Pas de souci, j’ai tout mon temps, c’est quoi ce grondement ?
Vous n’êtes pas au courant ? Ils ont installé une éolienne derrière l’église, sans même en parler au curé, dans quel monde vit-on ! C’est qui cette mignonne en robe vaporeuse qui ne vous lâche pas d’une semelle ?
C’est la fillette de ma voisine que j’ai pris sous mon aile... (en chuchotant) sa maman est très malade, elle a tellement décollé qu’un coup de foehn la renverserait pauvrette !
Ah mais oui je vois, cette fille rousse qui était avec nous au collège, elle avait une allure folle et des fragrances à faire tomber les plus vertueux ! Elle insufflait une énergie autour d’elle, tous les garçons en étaient amoureux !
Quelle chienne de vie!
Et oui ! Nous sommes tous vulnérables : les grands de ce monde peuvent se pavaner et pérorer sur la marche du monde, le pape peut buller autant qu’il y a de saints à canoniser et moi me la péter avec ma nouvelle porche ....tant qu’on a pas la santé !
Tu l’as dit, t’as fini ?
Oui voilà une chambre à air presque neuve.
Aile
Frantz Dunkan
Atelier d’écriture du samedi
Aile du deltaplane détalant plus vite
Qu’autruche dépourvue d’aile Aile de poulet atterrissant Dans mon assiette tendrement
Elle ne sait plus voler Mais d’un battement d’aile
J’accours comme un ouragan
Le cœur battant battu d’avance
Sans aile je ne suis qu’un ange déchu
Sans aile je ne monte au ciel Sans aile je ne fais que du sur place
Dans l’attente d’elle
Aile
Jacques Olivier Perreton
Atelier d’écriture du samedi
Elle était si belle,
Comme un ange avant de se bruler les ailes,
Et de partir à tire d’ailes.
Vers un autre ciel.
J’aurais voulu garder un battement d’elle.
Renaissance
Fabien Batheyron
Atelier d’écriture du samedi
Il habitait depuis toujours une chambre à air
Qui était devenue pour lui un véritable repaire
Ses pensées vagabondes s’envolaient, débonnaires,
Il vivait en apesanteur, sans jamais toucher terre.
Il n’avait pas comme Icare, besoin d’ailes
Pour tutoyer ses rêves dans le ciel
Las de planer en rond, il voulait se faire la belle
Pour vivre pleinement son âme rebelle
Il voulait quitter sa chambre, que sa vie décolle
Prendre racine enfin, s’ancrer dans le sol
Fuir les mirages car la came isole
Devenir quelqu’un, comme espérance folle
Il avait toute sa jeunesse bullé
Sur le chemin de l’école, il n’avait cesser de reculer
Peu enclin à apprendre dans des livres éculés
Il avait opté pour la rue et sa vie acidulée
Personne ne lui avait le goût de l’effort insuffler
Enchaîné par ses peurs, dans la nuit, camouflé
Il brûlait sa vie jusqu’à l’essouffler
Pour faire taire la douleur en son cœur boursouflé
Il ne connaissait de l’amour que sa fragrance
Il n’avait jamais vraiment eu de chance
Qui pouvait mettre fin à son errance
Défricher le terreau de son ignorance ?
Il aimait la montagne, ses falaises au relief éolien
Partir, oser l’aventure, marcher sans lien
La gravir de sa rage, d’un pas aérien
Pour atteindre le sommet, lui, le moins que rien.
Il se nourrissait de la chaleur du foehn
Habitué au froid de l’hiver, et au jeûne
A printemps de sa vie, il n’avait jamais été jeune
En risque tout, il s’était perdu, pour le fun.
Les saisons défilaient à toute allure
Il avait décidé de vivre en communion avec la nature
Il apprenait sans cesse, grandissait vers le pur
Il ne souffrait plus de la cicatrice de sa blessure.
Les brumes, s’étaient dissipées, de son être vaporeux
Devenu maraîcher, il nourrissait le village du pic rocheux
Délesté de son passé, il avait le cœur généreux
Il connaissait l’amour, enfin, il était heureux.
Air
Marie José Armelin
Atelier d’écriture du samedi
Comment se retrouve-t-il dans cette chambre à air ? Alors qu'il est assis en haut d'une falaise sur un rocher dominant l'océan. Plus question de distanciation, de masque. La pandémie ? Quelle pandémie ? Une impression de légèreté, de fluidité de l'air imprègne cet espace sans limite, ouvert sur l'immensité. Un foehn libère les fragrances de mille fleurs invisibles. Une secrète magie insuffle un courant d'air qui le propulse sur l'aile du vent. Et le voici qui décolle et à une allure vertigineuse est propulsé hors du temps, de l'espace. Comme suspendue dans les airs, une foule immense danse et chante au son d'un orchestre invisible. La joie de vivre imprègne ce temps hors du temps.